En proclamant dans l’article III de la déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément », la Révolution française de 1789, reconnaît le peuple comme seule source légitime de la souveraineté nationale. Elle a ainsi rendu nécessaire l’instauration d’un service public d’éducation afin de former les Français à l’exercice de la citoyenneté.
Les grands principes régissant le système éducatif, posés à la Révolution, ont été progressivement appliqués par les partisans de la république, opposés aux défenseurs d’une restauration monarchique, tout au long du XIXe siècle. L’obligation scolaire, la gratuité et la laïcité de l’enseignement public, réalisées pour l’enseignement primaire par Jules Ferry par deux lois en 1881 et 1882, n’ont pas été remises en cause depuis.
L’école, par l’éradication des patois locaux et la diffusion du français, a été le vecteur privilégié de la construction de la nation. Héritiers de la philosophie des Lumières, les républicains ont mis fin à la tutelle de l’Église sur l’éducation, afin de promouvoir la raison et la liberté de penser.
La IIIe République a permis l’accès de tous à l’éducation avec la gratuité. La mise en place de la mixité scolaire dans les années 1960 et l’unification progressive du système scolaire, qui s’achève avec la création du collège unique en 1975, ont permis d’étendre les principes républicains.
En dépit de ceux-ci, l’école républicaine se trouve être la cible d’un feu nourri de critiques : classes surchargées, maîtres moins bien formés et moins républicains que les maîtres anciens, persistance des inégalités et du prédéterminisme social, inefficacité de la formation dispensée, nombreux laissés pour compte, faiblesse supposée des résultats en comparaison aux systèmes éducatifs d’autres pays, dévalorisation des diplômes, manque d’insertion professionnelle, …
Au vue de son histoire et de sa mission, l’interprétation et les réponses à apporter aux critiques formulées à l’encontre de l’école Républicaine ne sauraient s’inscrire que dans une cohérence globale relevant avant tout du choix d’un modèle de société. Il s’agit donc d’un choix éminemment politique qui, circonscrit à la question de l’éducation, peut se poser en ces termes : « l’école républicaine pourquoi faire ? ».
La principale caractéristique commune aux différents griefs habituellement retenus contre l’école républicaine est de stigmatiser sa différence par rapport au modèle socio-économique anglo-saxon dominant et plus particulièrement au projet d’éducation qui le sous-tend. Dans ce dernier, l’éducation est un service comme un autre : soumis à la concurrence et aux lois du marché. C’est à la lumière de cette pression en faveur d’un modèle marchand de l’éducation et de la société qu’il nous faut donc éclairer le débat au cœur duquel se trouve l’école de la République et s’interroger sur les réponses que le projet Républicain doit y apporter.
Ainsi en va-t-il de la démocratisation de l’enseignement. De nos jours, l’influence de la société de consommation, se fait toujours croissante, tout particulièrement sur les jeunes générations. Orchestrée par le capitalisme financier, qui y voit matière au développement de son fond de commerce, cette influence insufle l’idée de l’individualisation de la société (la valeur de l’individu étant alors inversement proportionnelle au délai pris pour se procurer le dernier produit high tech) et de la responsabilité exclusive de chacun dans sa réussite scolaire, et donc, le plus souvent, professionnelle. Aussi, depuis les années 70, les tenants du modèle anglo-saxon n’ont-t-ils eu de cesse de déprécier la « massification » de l’enseignement au motif que la « démocratisation » ne serait pas compatible avec de hautes exigences de qualité. La massification de l’enseignement s’était pourtant imposée comme une évidence dés la Grèce antique. A Sparte par exemple, les disciplines enseignées, aussi diverses soient-elles, composaient un ensemble cohérent qui avait pour objectif d’une part de permettre l’acquisition des compétences nécessaires à l’exercice d’une fonction et d’autre part de faire comprendre à chacun l’articulation de sa propre fonction avec l’organisation du reste de la cité. C’est ainsi en citoyen, et non en mercenaire, que le guerrier Spartiate défendait sa cité. Comment, dans ce contexte, le projet républicain ne saurait-il réaffirmer son caractère universel et la légitimité du seul citoyen, là où le capitalisme financier souhaite placer le consommateur?
De même en va-t-il de la pédagogie, théâtre de la confrontation entre les séductions audiovisuelles au caractère immédiat d’un côté et la pensée studieuse et patiente de l’autre. Les premières prétendent ludifier le savoir, quitte à en dénaturer le fond pour peu que la forme soit vendeuse. Créant dés le plus jeune âge une adiction au « pré-pensé », et invitant sans cesse à de nouvelles génuflexions devant le dieu Media, elles se font les ennemies de l’esprit critique et du libre arbitre et contribuent de facto à assoir un peu plus l’hégémonie de l’idéologie dominante. A forte dose, elles sécrètent l’obscurantisme et rendent illusoire toute démocratie. La seconde est l’attribut traditionnel des systèmes éducatifs portés sur la création de citoyens. Propice à la réflexion, elle est créatrice des conditions d’analyse en profondeur des problèmes qui se posent à chacun, elle permet l’éducation par l’instruction et la réflexion. De par son histoire et sa vocation, le projet Républicain ne saurait donc se détourner de cette dernière sans se trahir lui même.
Ce combat idéologique en matière de pédagogie se décline dans le rôle dévolu aux enseignants et aux élèves. Les tenants d’un modèle consumériste de l’éducation n’ont eu de cesse depuis des décennies de marteler le concept selon lequel « l’élève doit être au centre du système éducatif ». Celui-ci a deux conséquences principales. La première est que l’élève serait déjà au cours du processus d’enseignement non pas une liberté en constitution mais déjà une liberté en exercice, légitime pour choisir son mode d’enseignement favori, voir le contenu qui lui sied le mieux, celui dont il a et aura besoin. Or comment ces questions pourraient-elles être tranchées, si ce n’est justement par l’acquisition préalable de connaissances et d’une vision globale? La seconde est de stigmatiser les enseignants comme obnubilés par leurs propres intérêts (comme aveuglés par la passion de leur discipline). Ce concept conduit donc à une surestimation des capacités de l’élève et à une sous-estimation de la légitimité du professeur, erreurs de jugement dont les répercussions déstabilisent l’ensemble du système éducatif. Alain mettait pourtant les choses au point en ces termes : « J’ai encore autre chose à dire, non comme sociologue mais comme instituteur, car j’ai appris le métier. Vous dites qu’il faut connaître l’enfant pour l’instruire, mais ce n’est point vrai. Je dirai plutôt qu’il faut l’instruire pour le connaître, car sa vraie nature c’est sa nature développée par l’étude des langues, des auteurs, des sciences. C’est en le formant à chanter que je saurai s’il est musicien ». Comme le rappelle Henri Pena Ruiz, « en dénonçant ainsi l’autorité du Maître, la discipline, paradoxalement réclamée à corps et à cri, s’en retrouve affaiblie, alors qu’elle consiste à rendre possible l’étude de chacun. La solidarité de la discipline et de la culture dans le processus de l’éducation étaient déjà soulignées par Kant dans ses réflexions sur l’éducation. Il faisait de la première la condition de la seconde, puisqu’elle affranchit l’être humain de ses impulsions, et plus généralement de tout ce qui fait obstacle à la maîtrise de soi dont relève la sérénité de l’étude. » La dimension positive de l’éducation, que le modèle Républicain se doit de réaffirmer, mise donc sur une liberté première et essentielle de tout être, celle-ci étant simplement appelée à s’exercer selon les règles qu’elle se donne à elle-même.
De même en va-t-il a fortiori du contenu des programmes et de leur rapport avec le monde de l’entreprise. L’essence du modèle anglo-saxon tient dans ce lien programmatique. Ainsi, année après année, ce système s’engage dans la formation, voir le formatage, de jeunes selon les besoins identifiés par les entreprises à la date du début du cycle de formation, au risque de voir ces technologies devenir obsolètes et inutiles au cours de la formation, le tout au détriment de la capacité d’adaptation. Ce modèle ne fait en effet que peu de place aux enseignements annexes au corpus principal, leur utilité professionnelle étant tout sauf immédiate. A contrario, l’idéal encyclopédique bien compris invite à une connaissance maîtrisée de la différenciation des savoirs, à la liaison des connaissances les unes aux autres permettant de saisir les rapports essentiels, et non en une érudition exhaustive. Ainsi, dans un modèle républicain, la culture ne s’inscrit-elle pas dans une finalité professionnelle. Il ne saurait donc y avoir de philosophie pour scientifiques ou de mathématiques pour informaticiens. Dans le cas contraire, pourquoi pas une histoire pour ouvriers spécialisés et une littérature pour éboueurs? Le nœud du problème se résume ici en un choix entre dispenser des connaissances adaptées aux dernières technologies ou privilégier l’autonomie fondée sur la culture générale. Dés lors, dans l’idéal Républicain, l’enseignement vise à faire connaître l’essentiel, l’élémentaire et laisse le loisir de voir l’arbre en entier afin de pouvoir situer la branche dans son rapport au tronc. Les programmes nationaux, héritage progressiste contre les féodalités locales et les groupes de pression, ne sauraient donc pas y être conduits selon le principe de l’offre et de la demande, car ils conduiraient alors à une logique d’apartheid culturel.
En continuité directe de la question programmatique, ce rapport de force se retrouve également dans la place donné à l’apprentissage. Celui-ci est présenté dans le modèle marchand de l’enseignement comme une chance pour les enfants issus de famille moins favorisées, comme une voie alternative d’accès à la connaissance, sous réserve que l’apprenti ne soit pas simplement considéré comme une main d’oeuvre bon marché. En philigrame, la question posée est en fait « l’Entreprise ne serait-elle pas capable, au moins autant que l’éducation nationale, de transmettre du savoir et de tracer pour chacun un chemin vers la réussite? ». Se basant sur une adaptation de l’instruction à une fonction particulière au sein de l’entreprise, l’apprentissage s’apparente pourtant philosophiquement à une réduction de l’enseignement. Le modèle Républicain a d’ailleurs prévu un autre mécanisme pour pallier aux inégalités : le système des bourses d’État. Donnant à chacun les moyens de poursuivre ses études jusqu’à leur terme, celles-ci sont conçues comme garantes de l’égalité des chances.
Dans une République, l’idéal de l’école se propose pour fins simultanés la réalisation de l’accomplissement humain, l’exercice libre et éclairé de la citoyenneté, et la formation en vue de l’activité professionnelle (et non la formation à une activité professionnelle). C’est dans ces objectifs universels que le projet républicain trouve la source des réponses aux questions qui se posent à lui et à son école en particulier, afin de repositionner le citoyen au cœur du dispositif, là où le modèle socio-économique dominant voudrait mettre le consommateur.
L’accomplissement de ces missions repose sur un certain nombre d’outils, parmi lesquels la carte scolaire (qui garantit l’égalité dans l’accès aux enseignements), les programmes nationaux (garants de l’expression de l’intérêt général et de l’égale qualité des formations et des diplômes), les bourses d’État (garantes de l’égalité des chances) et la laïcité (appliquée tant au champ spirituel qu’économique). Ciment de la société Française (et espérons le, un jour, mondiale), clé de voûte du vivre ensemble, unique rempart véritable contre le communautarisme rampant et garant de l’égalité de chacun face aux lois, celle-ci est organique à l’école républicaine.
C’est enfin dans le caractère public de l’éducation que réside sa capacité à offrir à tous la possibilité de dépasser le déterminisme social. Et si certains veulent nous faire croire que l’ascenseur social est cassé et qu’il faut prendre l’escalier, soyons biens conscients que la privatisation de l’enseignement ne fournirait, sur cet escalier, qu’une voie descendante.
Leave a Reply