Nous vivons une période particulière depuis près de 2 ans. Je ne saurais expliquer le monde dans lequel l’humanité a basculé depuis cette crise sanitaire. Certains parlent de dictature sanitaire, d’autre de décadence et le mot “nihilisme” m’a même fait saigner les oreilles. Ce mot pompeux, signifiant en première définition “Idéologie qui rejette toute croyance ; qui refuse toute contrainte sociale.”, englobé dans un gloubiboulga verbeux visant à flétrir une partie de la population et saborder l’unicité républicaine.
Nous vivons une période particulière depuis 2 ans, je ne me risquerais pas à la
caractériser.
La poussière retombera tôt ou tard, peut-être même bien plus tôt que nous le croyons et l’histoire triera de son propre chef pour apporter les réponses aux questions que tous se posent.
Nous vivons une période particulière depuis deux ans, période durant laquelle la recherche scientifique, nos savants, hôpitaux laboratoires, IHUs, et même la démarche scientifique elle-même ont été sauvagement instrumentalisés politiquement, économiquement, socialement à des fins que, là encore, je ne saurais caractériser. Je ne me risquerais pas à qualifier les décisions politiques qui sont prises car travaillant, depuis quelques mois, avec les cabinets ministériels, une chose m’est certaine à présent : la prise de décision politique englobe une multiplicité de facteurs qui la rendent bien trop souvent inextricable, inexplicable et tout sauf raisonnable. Seul un mot d’Einstein me semble adéquat “La folie est de toujours se comporter de la même manière et de s’attendre à un résultat différent”. Beaucoup ont abandonné l’idée d’y trouver un sens.
Cette période folle sur laquelle encore une fois je ne m’étendrai pas a inspiré cette planche sur la “démarche scientifique” non, pour analyser ou comprendre ce qui s’est passé, mais pour mettre au goût du jour un corpus permettant une pensée citoyenne armée de raison, loin de la pensée magique et des dogmes.
Dans une autre vie, j’ai été dans la recherche en physique fondamentale, expérimentale qui plus est. J’ai traversé cette vie-là avec une conviction : la méthode scientifique permet la recherche en laboratoire, mais s’applique mais également à l’analyse du monde dans lequel nous vivons. Elle est une arme pour tout citoyen désireux d’analyser les situations avec raison. Afin de rédiger cette planche, je me suis replongé dans un livre que j’ai beaucoup aimé durant ma vingtaine et qui a changé ma vision du monde. Il m’a permis,en quelques lignes puissantes de changer radicalement ma vision sur la supposée action divine sur l’ordre du monde. Nous y reviendrons. Ce livre, c’est “La recherche scientifique” de Vladimir Kourganoff publié dans la collection “Que sais-je” des éditions Presses Universitaires de France – PUF. J’ai décidé d’orienter cette planche autour d’un résumé commenté de ce livre. La planche abordera l’ensemble des points qui me semblent saillants dans la démarche scientifique. Par commodité je me suis approprié le texte mais il reprend énormément de l’oeuvre originale.
Le cadre général étant posé, commençons par dire que le monde d’aujourd’hui est façonné dans tous les domaines par d’innombrables techniques issues des découvertes scientifiques. La science est une des manifestations les plus caractéristiques et les plus marquantes de notre époque et de notre civilisation. Chaque pays dénombre anxieusement ses laboratoires, ses chercheurs, ses prix Nobel scientifiques car les nations ont brusquement compris que leur sort est lié aux découvertes et aux réalisations de leurs savants.
La science moderne puise sa force dans des racines ancestrales. Les hommes et les femmes ont toujours cherché à maîtriser et à comprendre la nature. Les apports successifs de l’ingéniosité et de l’esprit d’observation ainsi que les recettes pratiques se transmettent de génération en génération. Elles furent pendant des siècles les éléments constitutifs d’une démarche empirique. De leur côté, les prêtres, les théologiens et plus tard les philosophes ont cherché à expliquer la nature tant animée qu’inanimée: l’âme et le corps, les phénomènes célestes, et plus généralement tous les mystères du cosmos – qui signifie ordre. Pendant de longs siècles, les explications comme celles d’Aristote suffisaient. C’est à partir de la Renaissance que de nouveaux penseurs tels que Descartes ou Galilée dénoncent la naïveté des anciens qui prétendent expliquer des phénomènes très complexes avant de s’être assurés de leur réalité; sans même avoir observé avec soin leurs principales propriétés. Malgré le scepticisme des partisans des méthodes purement empiriques pressés d’atteindre des résultats pratiques, malgré l’hostilité des adversaires du libre examen et de l’expérimentation la science n’a cessé dès lors d’étendre son domaine.
L’essentialisation des attributs humains comme l’Amour avec un grand A, la Beauté avec B majuscule, n’existe pas à mon sens. Ces attributs s’ancrent et se construisent pour moi dans le réel. Il en est de même pour les canons de la démarche scientifique, qui sont pour moi des vertus vers lesquelles tout savant devrait tendre et dont tout
citoyen devrait apprendre à user. J’ai décidé de focaliser mon attention sur trois vertus à mon sens cruciales à toute personne souhaitant appliquer la démarche scientifique
dans son quotidien :
Première vertu : La démarche scientifique est un athéisme matérialiste, elle est intrinsèquement athée, elle dresse une cloison strictement étanche et ne se soucie d’aucun dogme de l’époque, qu’il soit religieux, économique, social.
Les positivistes du 19eme siècle, comme Auguste Compte, ont prétendu que le savant pouvait et devait établir une sorte de cloison étanche entre ses conceptions métaphysique, que je qualifie souvent de pensées magiques, et son activité de chercheur.
D’autres ont prétendu qu’une telle cloison n’est qu’une fiction et que tout savant est dominé par une foi scientifique d’essence métaphysique. Cette foi scientifique consisterait en des options sur les réalités du monde extérieur, la nature de la vie et le déterminisme. Einstein parlait par exemple de la Mécanique quantique, qui se base sur des probabilités, en disant “ Dieu ne joue pas aux dés”.
D’autres encore au nom de schéma philosophiques absolument étrangers à l’expérience de la recherche ont prétendu qu’il ne saurait y avoir de bonne science fondée sur une conception idéaliste de la connaissance et que le matérialisme était de rigueur pour un savant digne de ce nom.
Attention à ne pas croire pour autant que la métaphysique et la science se situent sur des plans entièrement distincts qui ne se rencontrent jamais car la science tend à
coordonner toutes les connaissances sûres et valables. La science ne se fixe aucune borne artificielle et ne se limite pas à ses premières conquêtes dans le domaine du
mesurable.
Ainsi l’astronome peut indifféremment croire que l’univers a été créé par Dieu ou au contraire qu’il a existé de toute éternité. Pour peu qu’il peut se raccrocher à son athéisme scientifique, son travail consistera dans l’un et dans l’autre cas à remonter toujours plus loin dans le passé afin de reconstituer l’évolution des astres et du milieu interstellaire. Il ne prétend pas attendre l’instant originel mais il tend vers celui-ci. Dans l’alternative de la création il pourra opposer une durée 2 – 5 milliards d’années d’existence de la terre au mythe de la création en 6 jours …qu’on nous présente aujourd’hui comme un pur mythe mais qui au Moyen-Âge représentait un véritable dogme pseudo-scientifique. C’est à la science que l’on doit la transformation de ce dogme en symbole.
De même, il est indifférent au savant que le cosmos soit fini ou infini, il se borne à poursuivre son exploration méthodique de l’univers toujours plus loin, non pour en
atteindre les limites, mais pour en connaître une portion toujours plus grande avec plus de détails. Il croira au déterminisme des lois physiques aussi longtemps que l’expérience justifiera cette théorie mais sera prêt à l’abandonner au profit d’une conception probabiliste dès que l’expérience aura montré les insuffisances de ce déterminisme.
Il ne cherchera pas à expliquer la vie mais tendra à la connaître de mieux en mieux, il ne niera pas a priori l’existence d’une interaction éventuelle entre l’âme et le corps entre
le psychique et le physiologique, il essaiera de mettre en évidence les processus physico-chimiques conditionnant l’un et l’autre et s’efforcera de découvrir les réactions matérielles qui se rattachent à cette interaction.
Un exemple caractéristique de cet athéisme scientifique est celui des manifestations de l’ordre dans l’univers. En particulier la recherche scientifique n’interdit nullement le postulat métaphysique suivant lequel un ordre se manifeste dans le cosmos, et bien des grandes découvertes sont guidées, de Pythagore a Einstein en passant par Newton, par cette métaphysique de l’harmonie de la nature.
Le savant qui interprétera le postulat de l’ordre dans l’univers par Dieu pourra ainsi donner un sens métaphysique, une signification mystique, comprendre le pourquoi de ses recherches. Il aura l’impression que la découverte des lois et des structures de l’univers le rapprochent de Dieu en lui faisant connaître avec une intimité croissante les manifestations de sa présence. Un autre savant pourra faire des recherches tout aussi fécondes en ne faisant aucune hypothèse sur l’harmonie de l’univers et remarquer malicieusement que la simplicité des lois physiques n’est qu’une illusion : Chaque loi devenant de plus en plus compliquée à mesure que l’on parvient à davantage de précision.
Ainsi les interactions et la nature des relations qui peuvent exister entre les idéologies et la science sont évidentes. En l’occurrence la métaphysique ne doit en aucun cas s’insinuer dans la méthode de recherche et la démarche scientifique. Le travail scientifique est méthodologiquement athée,la science ne saurait s’accommoder d’aucun système autre qu’une synthèse coordonnant ses propres constatations. La grande liberté de la méthode scientifique réside ainsi dans son esprit d’inquisition athée contrairement aux tentatives de l’église d’étouffer les découvertes contraires à ses dogmes. L’Inquisition infligea à certains savants une odieuse persécution que symbolise le procès de Galilée.
Au cours de ces luttes dont la science est toujours sortie victorieuse une noble tradition s’est progressivement dégagée: elle oppose l’esprit scientifique, fait de modestie, de prudence, et une fière indépendance intellectuelle à l’esprit d’inquisition, qui, lui, décrète une fois pour toutes une vérité officielle puis punit les hérétiques. Voyez comme ces
mots résonnent au regard de la période que nous vivons. Aujourd’hui, face aux églises chrétiennes les savants non plus à lutter que pour la laïcité de l’enseignement, mais la lutte de l’esprit scientifique et la démarche scientifique est contre l’esprit dogmatique des technocrates dont la servilité vis-à-vis du pouvoir politique n’a rien à voir avec la fière tradition de l’indépendance scientifique. Tous ceux qui admirent Galilée Darwin Giordano Bruno ont pour devoir impérieux de s’opposer courageusement toujours et partout à l’esprit l’Inquisition et aux persécutions nouvelles.
Nous allons voir que la vertu scientifique suivante permet de relativiser l’impact métaphysique des résultats obtenus par la science.
Deuxième vertu : La démarche scientifique est la somme d’approximations successives.
Avec le progrès de la science, la réalité apparaît de plus en plus complexe et certains en concluent que la vérité recule et nous échappe à mesure que nous essayons de mieux la saisir. En vérité c’est une connaissance toujours plus complète et plus précise.
“La science vit de solutions successives données à des pourquoi de plus en plus subtils, de plus en plus rapprochés de l’essence même des phénomènes” disait Pasteur.
Cette progression de la connaissance peut être illustrée par un exemple emprunté à l’astronomie.
A l’origine, les objets étudiés par les astronomes pouvaient être considérés comme particulièrement simples. Les astres n’étaient que des points lumineux dotés d’un certain mouvement. Leur éloignement et l’insuffisance des moyens d’observation rendaient impossible toute étude détaillée. Vénus par exemple, simple point lumineux comme des étoiles, se transforme après l’invention de la lunette en un croissant dont les formes varient périodiquement. Saturne, autre “étoile” entre guillemets, s’entoure d’un anneau et Jupiter révèle ses satellites, la Voie Lactée se résout en des milliers d’étoiles, la lune se couvre de montagnes et le soleil de tâches. Bientôt nous apprenons grâce au spectrographe que les étoiles elles aussi ne sont pas des points lumineux mais des objets concrets :vastes boules de gaz incandescents, nous réussissons à en connaître la composition chimique, nucléaire, la température, les dimensions et les
distances.
En même temps, on observe un nombre toujours croissant d’étoiles, de plus en plus faibles et lointaines. Et voilà que, instruits de leurs sources d’énergie, l’idée nous vient d’imiter les étoiles et de construire sur la terre des soleils en miniature : les réacteurs à fusion nucléaire.
Cet exemple nous fournit une image d’un processus fondamental de la démarche scientifique : l’usage des approximations successives ou si l’on préfère l’approche progressive de la vérité. Face à la complexité du réel, le savant cherche avant tout à distinguer le primordial du secondaire. Chaque phénomène dépend d’innombrables facteurs et à chaque étape de la science il est impossible d’étudier rigoureusement l’influence et l’interaction de chacun d’eux. La méthode scientifique est avant tout une affaire de jugement : trouver ce que l’on peut négliger dans l’analyse du réel, voilà le plus important des choix qu’implique la méthode scientifique.
Prenons un autre exemple emprunté à l’astronomie pour nous en convaincre. En première approximation, le soleil est immobile et la terre tourne, comme l’affirmaient Copernic et Galilée. Mais en seconde approximation, le soleil tourne autour du centre de la Voie Lacté. Il en fait le tour en 250 millions d’années et entraîne la terre dans son
mouvement.
Ce qui rend possible l’usage des approximations successives en sciences, c’est l’existence d’une hiérarchie dans la complexité des formes et dans les ordres de grandeur des phénomènes naturels. Le mouvement que la terre effectue en un an dans son cycle galactique est tout à fait négligeable par rapport au mouvement copernicien correspondant. Les mouvements galactiques de la Terre, du Soleil pendant un an sont pratiquement rectilignes tandis que le mouvement relatif de la Terre autour du Soleil est sensiblement circulaire.
Cependant, et pour clore les explication afférentes à cette vertu, il ne faut jamais oublier le caractère provisoire de l’approximation du jour et du modèle qui la concrétise.
Bien des dogmatismes néfastes ont pour origine l’oubli du caractère imparfait et éphémère de tout modèle. Aucun modèle ne prétend représenter tous les aspects du réel. Un jour arrive, tôt ou tard, où toute une série de modèles sont abandonnés pour une série de conceptions entièrement nouvelles.
La dernière vertu que je vais vous exposer pose l’art de la généralisation et des vérifications qu’elle engendre.
Troisième vertu : La méthode scientifique est faite de généralisations conceptuelles ainsi que d’un somme de vérifications.
Il est particulièrement difficile d’apprécier, en Science, la valeur relative de deux résultats; de dire pourquoi tel travail est plus important que tel autre.
Il est relativement plus facile de juger de la valeur des travaux anciens dont l’importance peut ressortir à la lumière de leurs conséquences. Personne ne douterait aujourd’hui de l’importance plus grande de la loi de Newton dont on connaît la prodigieuse fécondité quand on la compare par exemple à la découverte de Neptune, d’ailleurs précisément dûe, à l’application de la loi de Newton.
Il est plus difficile de se prononcer sur les résultats nouveaux dès leur publication : il y en a tant qu’ils paraissent à première vue sans valeur immédiate et ne prennent de l’importance que progressivement. La valeur de certains résultats nouveaux est pourtant reconnue immédiatement, leur importance éclate aux yeux de tous. Mais ce n’est pas toujours facile d’expliquer objectivement ce qui nous fait juger ces résultats comme particulièrement importants.
Il existe pourtant des cas où un résultat peut remplacer un autre où même plusieurs autres. Il en est ainsi quand un résultat donné en contient plusieurs autres comme des cas particuliers.
Constater que Mars décrit une ellipse dont le soleil occupe un de ses foyers aurait moins de valeur que la généralisation de cette propriété à toutes les planètes du système solaire comme l’a fait Kepler. De même, la portée de la loi de Newton est immense. Elle renferme, et par conséquent explique, non seulement les lois de Kepler mais aussi d’autres éléments comme la forme précise des planètes etc.
Ainsi les valeurs scientifiques sont bien susceptibles parfois d’une sorte d’addition et même d’équivalence. A mesure que s’organisent les morceaux du puzzle l’échelle de valeurs se précise, les découvertes contrôlent des domaines de plus en plus vastes et de plus en plus variés. A mesure que la science progresse, des résultats primitivement impossibles à hiérarchiser deviennent comparables.
Ces généralisations conceptuelles n’ont de valeur qu’associées à la valeur de l’ensemble des vérifications. La valeur objective d’un résultat scientifique ne dépend pas seulement de sa généralité ou de son universalité, la science recherche non seulement la généralité mais aussi la certitude.
Par exemple, Kepler étudie l’orbite de Mars et la trouve nettement elliptique puis il fait un audacieux “bon dans l’inconnu” et affirme que toutes les planètes décrivent des ellipses admettant le soleil pour foyer. C’est une intuition génialissime mais une intuition tout de même. Pour les contemporains de Kepler, cette affirmation n’était nullement certaine. Pour le devenir elle avait besoin d’être vérifiée sur toutes les planètes et à défaut d’une vérification exhaustive sur un grand nombre d’entre elles.
Pour ce faire, il a fallu construire des lunettes astronomiques de plus en plus perfectionnées, étudier patiemment et avec une précision toujours plus accrue les mouvements de toutes les planètes et attendre. La plus lointaine des planètes actuellement connue, Pluton, met 250 ans environ à faire son tour du soleil. C’est par des intuitions telles que celle de Kepler que la science progresse.
J’achève sur cette vertu en disant que la méthode scientifique adresse au moins deux échelles de valeurs apparemment irréconciliables : celle de l’audace et celle de la prudence. D’un côté, ce qui compte c’est la généralisation et l’universalité des intuitions. De l’autre l’importance se mesure au nombre et à la qualité de vérifications implacables qui sont faites par les pairs.
Conclusion
Pour conclure cette planche, il semble clair que le caractère collectif de la démarche scientifique fait que l’important n’est jamais un résultat ou un savant. La valeur d’un seul travail ou d’un individu ne peut être qu’une valeur de participation. L’essentiel dans la démarche scientifique est que le tout soit complet et harmonieux. Il serait ridicule de demander si les fenêtres d’un temple ont plus de valeur que les escaliers. Les vertus présentées ici, matérialisme athée, approximations successives et généralisations en sont des fondations généralisables dans la vie de la cité.
J’espère que ces quelques considérations donneront matière aux frères et soeurs de l’atelier à plaquer ces vertus dans leur compréhension du monde.
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