Forts de 310 millions d’habitants sur les 7 milliards qui peuplent notre terre, les Etats Unis d’Amérique représentent environ 5% de la population mondiale, mais si l’on se limite à la population incarcérée, avec ses 2 300 000 détenus, le pays compte alors pour 25% des détenus à l’échelle mondiale. Son taux d’incarcération de 730 personnes pour 100 000 habitants le place en première position des pays pour lesquels des statistiques sont disponibles (559 pour la Russie, 122 pour la Chine, 102 pour la France, … ) et ne permet qu’à la Corée du Nord de le dépasser, avec une estimation à 800 pour 100 000 habitants. Impressionnant pour le pays dit de la liberté…
Ces chiffres ne doivent rien au hasard. Ils sont pour partie le fruit de l’histoire d’un pays qui n’est évidemment pas transposable au notre, mais également le fruit d’une organisation du dit pays tant au plan social qu’idéologique et institutionnel. Ces éléments étant, eux, partie intégrante du modèle libéral comunautariste anglo saxon que d’aucuns tentent d’importer en France et en Europe, il m’a paru intéressant de vous présenter cette planche relative à l’histoire de la politique carcérale américaine.
Abolition de l’esclavage et politique carcérale
La première étape du récit nous ramène à la guerre de cession. Si celle-ci a des racines variées (confrontation de modèles économiques entre le nord protectionniste industriel et le sud libre échangiste agricole ou confrontation de modèles d’organisation du pays entre le nord fédéraliste et le sud partisan d’une confédération), la question de l’abolition de l’esclavage fut l’un des principaux catalyseur de la sécession des états confédérés en réponse à l’élection d’Abraham Lincoln en 1960, sécession qui provoquera l’affrontement militaire entre les deux camps.
A la fin du conflit, et faisant suite à un décret de 1863 au fondement juridique contesté, c’est par le biais du 13ème amendement de la constitution des états unis que l’esclavage fut aboli. Sa faisant, ce n’est pas seulement à 4 millions de personnes que l’on donnait leur liberté. C’est aussi un système économique qui était mis en péril. L’économie sudiste, qui s’appuyait principalement sur une agriculture très demandeuse de main d’œuvre, ne survivait que par la main d’œuvre gratuite que constituaient les esclaves et qui étaient une part intégrante du système de production. L’abolition sonnait donc comme la ruine de l’économie de cette partie du pays.
Mais la rédaction du 13ème amendement ouvrait une brèche. En effet, sa rédaction précise est :
Ni esclavage ni servitude involontaire, si ce n’est en punition d’un crime dont le coupable aura été dûment condamné, n’existeront aux États-Unis ni dans aucun des lieux soumis à leur juridiction.
Afin de rebâtir leur économie, les états sudistes se mirent alors à appliquer leurs lois avec grand zèle et les anciens esclaves furent arrêtés en masse, souvent pour des délits mineurs tels le vagabondage, et bon nombre d’entre eux redevinrent alors esclaves de fait. Ce fut le premier boom de la population carcérale américaine, et par nature, il toucha principalement les afro américains.
Le mouvement pour les droits civiques
Au début du XXème siècle s’est développé un mythe de la criminalité noire, et tout particulièrement du mâle noir violeur de femmes blanches. La propagation de ces idées s’est, entre autres appuyé sur le tout récent cinéma. Un film en particulier eut un impact majeur sur le sujet : la naissance d’une nation (birth of a nation, 1915). Il présente notamment une scène devenue fondatrice dans l’imaginaire collectif américain : une jeune femme blanche préfère se jeter d’une falaise plutôt que de risquer d’être violé par un homme noir. Le film joue également un rôle important dans la renaissance du Ku Klux Klan (quasi éteint en 1915) en le présentant comme un organisme protecteur et libérateur.
La renaissance du Klan à cette époque, les lynchages et les agressions physiques qui en découlèrent, principalement dans les états du sud, furent à l’origine d’importantes migrations de population noires descendantes d’esclaves du sud où elles étaient concentrées vers l’ensemble des grandes villes américaines.
Lorsque ce type de comportement ne fut plus acceptable, le racisme a mué afin de devenir quelque chose de plus légal : la ségrégation avec les lois Jim Crow. Justifiées à l’origine par la peur de la criminalité, celles-ci distinguaient les citoyens selon leur appartenance raciale et, tout en admettant leur égalité de droit, elles imposèrent une ségrégation de droit dans tous les lieux et services.
Pour lutter contre ce statut permanent d’être inférieur des personnes de couleur s‘est progressivement constitué le mouvement pour les droits civiques, dont l’une des formes d’action a été de violer délibérément les lois ségrégationnistes dans les états du sud. L’une de leur technique fut de transformer la notion de criminalité : pour la première fois, être arrêté devenait quelque chose de noble. Cette lutte fut gagnée en 1964 avec la promulgation du civil right act et du voting right act de 1964.
Malheureusement, au moment où le mouvement pour les droits civiques prenait de l’ampleur, le taux de criminalité se mit à monter. L’explication était avant tout démographique : les baby boomers étaient devenus adultes, et avec l’augmentation de la population venait l’augmentation du nombre de crimes et délits. Mais il devenait dès lors facile pour les politiciens de dire que le mouvement des droits civiques contribuait à l’augmentation du taux de criminalité.
Le début de la politique d’incarcération de masse
En 1970, les prisons américaines comptaient 357 000 détenus.
Les années 70 marquèrent un tournant dans la politique carcérale américaine. Si la population incarcérée avait été relativement stable au cours du XXème siècle, le président Nixon posa les premières pierres de la politique dite de l’incarcération de masse.
S’appuyant sur l’idée d’une nation de loi et d’ordre, le mot crime a commencé a changer de signification. Parlant dp’une guerre contre le crime, le président républicain entendait en fait une guerre contre le mouvement politique noir, le mouvement anti guerre, le mouvement d’émancipation des femmes ou le front de libération des homosexuels.
C’est également à cette époque que fut fait le choix de traiter le problème de la drogue comme un problème de criminalité plutôt que comme un problème de santé publique.
Cette guerre contre le crime fut la clef de la stratégie sudiste de Nixon. Pour gagner les élections présidentielles, il devait convertir en vote républicain le vote des électeurs blancs, à tendance plutôt raciste, des états du sud, traditionnellement démocrates. Les études statistiques et sondagières avaient en effet identifié cette population comme potentiellement « retournable » du fait de l’éloignement progressif du parti démocrate de leur conception de la propriété terrienne (et de la sympathie avec la période esclavagiste), puis par les présidences Kennedy et Johnson qui avaient marqué d’importantes avancées pour les droits civiques.
John Ehrlichman, conseiller de Nixon décrypta lui-même ce qui se cachait derrière le vocabulaire de l’ordre et de la sécurité :
La campagne Nixon de 1968, et les années qui suivirent sous sa présidence avaient deux ennemis : les noirs et la gauche anti guerre du Vietnam. Vous comprenez, nous ne pouvions pas rendre illégal d’être antiguerre ou noir, mais en incitant le grand public à associer les hippies à la Marijuana et les noirs à l’héroïne, puis en criminalisant lourdement les deux produits, nous pouvions détruire ces communautés. Nous pouvions arrêter leurs leaders, fouiller leurs maisons, interrompre leurs rassemblements, et les diaboliser jour après jour dans les journaux télévisés du soir. Savions-nous que nous mentions au sujet des drogues ? Bien évidemment !
Des centaines de millier de personnes ont été envoyées en prison pour des délits mineur, notamment la possession de marijuana.
En 1980, la population carcérale américaine avait atteint 514 000 individus.
Ronald Regan amplifia la tendance initiée par Nixon. Il mit ainsi par exemple en avant sa femme Nancy, qui incarna la campagne « just say no ».
C’est à cette époque qu’apparut une nouvelle drogue qui pouvait être vendu pour une somme abordable en relativement petite quantité : le crack. Les classes paupérisées de centres urbains (majoritairement afro américains, premières victimes de la crise liée au second choc pétrolier et des conséquences des attaques frontales contre les services sociaux menées par les néolibéraux) adoptèrent très rapidement cette drogue, tandis que la consommation de drogue des classes aisées des banlieues restait plutôt orientée vers la cocaïne.
Sous l’impulsion de Regan, en un temps quasi record, le législateur a établi pour le crack des peines planchers bien plus sévères que pour la cocaïne : la possession de 30g de crack exposait à la même peine que 3kg de cocaÏne. Du fait de la disparité sociale et raciale de consommation, les afro américaines et les latinos ont été particulièrement touchées numériquement, mais également dans le temps de détention.
En 1985, la population carcérale américaine atteignait les 759 000 détenus.
Vers un discours hypersécuritaire de l’ensemble de la classe politique américaine : la campagne présidentielle de 1988
La campagne présidentielle de 1988 opposa pour le camps républicain Georges Bush père, vice-président de Ronald Regan, au démocrate Michael Dukakis, gouverneur du Massachusets.
Ce dernier était largement favori des sondages jusqu’à la diffusion d’un spot de campagne mettant en accusation le laxisme de la politique carcérale du gouverneur Dukakis dans son état. Ce spot racontait l’histoire de Willie Horton, prisonnier condamné à mort pour meurtre. Opposé à la peine de mort, Michael Dukakis avait également mis en place des programmes, ouverts également aux prisonniers condamnés pour meurtre, de libérations provisoires pour effectuer des travaux d’intérêts généraux. Lors de l’une de ces libérations provisoires, Willie Horton réussit à s’échapper, à kidnaper un couple, poignarder l’homme et violer à plusieurs reprises la femme. La diffusion de ce spot fit de la politique criminelle le point central de la campagne. Les républicains surnommèrent Dukakis « Willie » pour moquer son laxisme supposé. Et ce fut finalement Georges Bush qui remporta l’élection.
Au-delà de l’évident écho que Willie Horton faisait au mythe fondateur décrit dans naissance d’une nation en 1915, ce fait est particulièrement singulier car la défense des démocrates s’était articulé autour de l’injustice des républicains à s’en prendre à Willie Horton du fait de la couleur de sa peau. Mais cela fut perçu comme un soutien à un meurtrier et à un violeur. Avec la défaite, les démocrates retinrent de cet épisode qu’ils devaient se montrer au moins aussi fermes que les républicains sur le terrain de la sécurité s’ils voulaient regagner en crédibilité.
En 1990, la population carcérale des états unis avait atteint 1 180 000 prisonniers.
Après deux mandats de Georges Bush, l’élection présidentielle de 1992 vit l’avènement d’une nouvelle génération de démocrates, conduite par Bill Clinton et Al Gore. Considérant qu’il était devenu impossible pour un politicien d’apparaître indulgent vis-à-vis des criminels, et convaincus qu’ils devaient adopter sur le sujet une attitude beaucoup plus « centriste » que les positions historiques du parti démocrate, leurs clips promotionnels vantaient leur soutien à la peine de mort. Mais rejoignant ainsi les positions de leurs concurrents, ils ne pouvaient tirer du sujet un avantage politique qu’en allant plus loin que le camps adverse.
C’est ce qui arriva avec la loi dite des trois coups, dont le nom est emprunté au base ball : three strikes and out. Inscrite dans le crime bill de 1994, celle-ci permet ou impose aux juges de prononcer des peines à perpétuité pour les personnes condamnées pour la troisième fois pour crime ou délit. Cette politique entrait en résonnance avec les peines plancher qui retiraient aux juges leur capacité d’appréciation des circonstances atténuantes.
Dans la même loi, une disposition porte sur l’adéquation de la peine et du crime imposait que 85% de la peine serait effectuée pour les auteurs de crimes violents, supprimant quasi de facto la libération conditionnelle. L’appréciation de la dangerosité ou non du condamné comme critère de libération éventuelle était ainsi lui aussi supprimé.
Enfin, des financements importants ont été apportés au déploiement massif de forces spéciales dans les rues, et à la construction de prisons.
En l’an 2000, la population carcérale des états unis avait franchi les 2 millions de détenus.
Deux éléments caractériseront la politique carcérale des mandats de Georges W Bush. Le premier est l’invention du concept de combattant ennemi, nouveau statut permettant de soustraire les détenus soupçonnés de terrorisme au droit commun et à toutes les conventions internationales, ouvrant la porte à toutes les formes de détentions arbitraires et de torture (Guantanamo, prisons secrètes de la CIA hors du territoire américain). Le second est le renforcement de la chasse aux immigré clandestin, notamment dans les états frontaliers du Mexique, et le développement des incarcérations préalables aux expulsions.
La marchandisation de la politique carcérale
En 2014, la population carcérale américain avait atteint 2,3 millions de détenus. Du fait de l’enchaînement des éléments indiqués précédemment. Mais pas uniquement.
L’histoire ne serait en effet pas complète si l’on n’évoquait pas les intérêts économiques en jeu dans le marché que représente le monde carcéral.
Pour faire face à l’explosion de la population carcérale, de nombreuses prisons ont dû être construites. Et doctrine libérale oblige, dès les années 80, leur construction et leur gestion fut confiée au secteur privé. Un secteur entier de l’économie a été créé, qui tirait son profit des corps emprisonnés.
Dans un modèle rappelant grandement celui des Partenariats Public-Privé que nous rencontrons fréquemment en France, les états qui contractualisaient avec les gestionnaires de prison privés s’engageaient à maintenir un taux de remplissage des prisons de 80 à 100%. Inversant complètement le cours du droit, ce n’est plus la justice qui commande la prison, mais la prison qui commande la justice.
Le lobby American Legislative Exchange Council (ALEC) fut particulièrement actif pour la promotion des intérêts du complexe carcéral. Club privé comptant parmi ses membres grandes entreprises et hommes politiques, ses réunions ont pour objet principal la transmission aux hommes politiques, majoritairement républicains, des projets de loi intégralement rédigés par les grandes entreprises.
Rédigées par ses membres, les propositions de loi transmises par l’ALEC ont évidemment vocation à être bénéfiques à ses sociétés membres, avec l’ambition d’une diffusion large au niveau national, afin d’homogénéiser entre états, si ce n’est toutes les dispositions légales, au moins la philosophie de celles-ci.
Et parmi les membres d’ALEC s’est longtemps trouvé la Correction Coporation of America (CCA), premier opérateur privé de construction et gestion de centres de détention.
Parmi les lois promues par l’ALEC et la CCA, on retrouve évidemment la loi des trois coups, les peines plancher, l’adéquation des la peine et de la condamnation. Ces lois généraient des flux de détenus, qui généraient des profits de la CCA et de ses actionnaires. A titre indicatif, le chiffre d’affaire de CCA avait atteint 1,7 milliard de dollars en 2013.
Un autre exemple de loi promue par l’ALEC au profit de la CCA est l’Arizona SB1070 : la loi donnait pour mission à la police d’arrêter toute personne lui paraissant être un immigré. La gestion des centres de rétention pour immigrés en Arizona rapporte environ 11 millions de dollars par mois à CCA.
Le business carcéro industriel
Dans de nombreuses prisons, les détenus sont autorisés, sous conditions, à travailler, pour des salaires de l’ordre de quelques centimes de l’heure pour réaliser des travaux divers allant de l’agriculture, à la production agricole en passant par la menuiserie ou la fabrique de textile. Certains gestionnaires de prison, publics ou privés, organisent le commerce de la production réalisé par les détenus. Dans une logique capitaliste et productiviste poussée à son paroxisme, la Colorado Carceral Industry propose à la vente différents produits (raisins, fromage bio, miel, poissons, …) pour un chiffre d’affaire annuel de 65 millions de dollars.
Les gestionnaires privés de prison ne sont pas les seuls à bénéficier de l’augmentation du nombre de condamnés, et de l’augmentation de la durée de leurs peines. Les prestataires de services opérant dans ces centres de détention trouvent également dans le système de l’emprisonnement de masse de larges sources de profit : opérateur téléphonique surtaxant les appels émis depuis les prisons, entreprise de restauration collective servant des menus surfacturés pour une qualité ne respectant parfois pas les normes sanitaires, …
Il convient également de mentionner les entreprises bénéficiant du travail des détenus. Pas de loyers à payer, des frais de transports inférieurs à ceux occasionnés par les délocalisations, un volant d’employés potentiels, dociles et à portée de main, et à qui on verse le salaire minimum, qu’on débauche ou réembauche selon les besoins et des produits estampillés « Made in USA », en plus: le plan rêvé pour une entreprise. Dans un système rappelant les années suivant immédiatement l’abolition de l’esclavage, des entreprises de tous secteurs bénéficient d’une main d’œuvre à coût extrêmement réduit par l’embauche de prisonniers : les systèmes de guidage de missiles, grandes marques textiles dont Victoria Secrets, les grains de café de Starbucks, les voitures de sports Shelby Cobra, les Game Boys Nintendo les souris de Microsoft ou les vêtements Eddie Bauer, … Les enjeux en terme d’image sont tels qu’une liste exhaustive des sociétés y recourant est difficile à établir, et plus encore de chiffrer les avantages financiers engendrés, mais il est certain que ceux-ci sont colossaux.
Dernier élément de nature économique rendant extrêmement difficile la remise en cause de l’incarcération de masse aux états unis : le complexe carcéral emploie environ 800 000 personnes, soit autant que le secteur automobile.
De la question du système judiciaire
La plupart des films mettent en scène une justice américaine basée sur des avocats grassement rémunérés, des procès complexes, des plaidoieries aux forts accents lyriques, des juges aux caractères trempés et des jurys à séduire.
Mais le système judiciaire américain n’est absolument pas calibré pour permettre à chacun d’avoir un procès. En fait, 97% des actes criminels sont jugés selon une procédure dite de la négociation de peine.
Le principe est qu’un accord est passé en amont d’un procès entre le procureur, qui accepte de réduire la peine qu’il requiert, et l’accusé, qui reconnait sa culpabilité.
Cette procédure est l’une des clefs de voute du système pénal américain, mais est également un important vecteur de propagation d’inégalités sociales.
Lorsqu’un suspect est arrêté, celui-ci est placé en détention provisoire. Un tribunal détermine alors s’il est éligible à une libération sous caution, et dans ce cas le montant de la caution. Si la caution est payée, le suspect poursuivra la procédure judiciaire sous le régime de la liberté. Sinon, il restera incarcéré dans l’attente du dénouement de la procédure.
Le premier point est donc qu’un grand nombre de personnes sont actuellement incarcérées sans que leur culpabilité n’ait été définitivement reconnue, et l’une des composantes importantes de leur maintien en détention est leur manque de moyens pour bénéficier d’une libération sous caution.
C’est après cette étape qu’intervient la négociation de peine avec le procureur. Celle-ci donne un avantage aux dossiers où de bons – et donc coûteux – avocats sont impliqués, perpétuant là aussi les inégalités sociales. Mais cette étape entre surtout en raisonance avec le système des peines plancher. Le dilemme peut alors devenir : accepter une peine réduite pour un crime dont on n’est pas coupable ou prendre le risque d’être reconnu coupable et risquer la peine plancher, souvent très lourde ? S’il est évidemment impossible d’établir des statistiques sur le sujet, le problème, posé en ces termes et amplifié par la pression physique et psychologique que représente la détention préventive, amène nombre de prévenus à sérieusement considérer la première option, voir à la choisir.
Enfin, la justice américaine se sait face à une crise systémique potentielle de son système judiciaire : si tous les prévenus demandaient un procès, les tribunaux seraient tellement engorgés que le système exploserait. Dans ce contexte, hésiter à accepter une négociation de peine est vu comme une provocation envers le système, déclenchant une réponse de celui-ci, à commencer par la prolongation de l’exposition au milieu carcéral et à sa violence physique et psychologique, par le biais de l’étalement dans le temps de la procédure pénale, et donc de la détention préventive.
Conclusion
Si l’on voulait résumer la situation, beaucoup de lois envoient beaucoup de gens en prison pour de lourdes peines, permettant à certains de gagner beaucoup d’argent.
Une fois incarcérés, rien n’est fait pour permettre la réinsertion des détenus. Au contraire, tout est fait pour les empêcher de réintégrer la société civile à leur sortie : mention des condamnation dans les dossiers de candidature à de nombreux emplois, aux demandes de prêts, aux demandes de logements, restriction du droit de vote, du droit à l’autorité parentale, de la possibilité d’être juré,…
Bien que peu porté sur la lecture ethnique des sociétés, l’organisation et l’histoire des états unis, de ses lois et de sa politique carcérale, et les témoignages même des acteurs à l’origine de certains des piliers du système carcéral, rendent difficile, voire impossible, la non prise en compte de cette dimension dans la question carcérale et son évolution. Le bureau des statistiques judiciaires américaines a ainsi rapporté qu’un blanc sur 17 irait en prison au cours de sa vie, contre un noir sur trois. Ce chiffre est d’autant plus choquant que les homes noirs représentent 6,5% de la population américaine pour 40% de la population carcérale américaine…
Une partie de la classe politique américaine semble aujourd’hui vouloir mettre fin à la politique d’incarcération de masse. Certains y verront une coïncidence avec le départ en 2010 des gestionnaires de prison du lobby ALEC. D’autres voudront y voir la marque de Barack Obama. Peu penseront en tout cas que ce revirement fait suite à une indignation face aux conditions d’incarcération (qui mériteraient à elles seules une planche dédiée) ou aux inégalités que cette politique porte et perpétue, et beaucoup préféreront y voir une prise de conscience face au coût induit par ce système : de l’ordre de 80 milliards de dollars par an.
Si des évolutions de la politique carcérale américaine semblent s’annoncer, l’importance économique du complexe carcéro industriel ou l’identité du nouveau locataire de la maison blanche, avec ses clins d’œil appuyés au Ku Klux Klan lors des perturbations de ses mettings de campagne par des personnes de couleur, ou son application aux questions migratoires des méthodes rhétoriques et législatives héritées de la guerre contre la drogue, peuvent nous amener à nous interroger sur le sens réel de ces évolutions et les chances de voir l’humanisme progresser.
Bibliographie
Le 13ème, documentaire d’Ava Duvernay
Incarcération de masse : l’échec d’un système – podcast Cultures du monde de France Culture
Vers un complexe carcéro industriel – podcast Cultures du monde de France Culture
Prisons : le contre exemple américain – Le monde
Loi des trois coups – Wikipédia
13ème amendement de la constitution des Etats Unis – Wikipedia
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