Je tenais à vous présenter cette planche qui traitera principalement de l’incidence du fait religieux dans les entreprises privée mais également des difficultés que rencontre les entrepreneurs et les salariés pour gérer ces situations dans l’enceinte de l’entreprise.
En effet, j’ai le sentiment qu’il y a de plus en plus de problèmes liés à la religion dans mon entreprise depuis maintenant une année.
Je souhaite au travers de cette planche vous faire partager, les problèmes que j’ai pu rencontrer au quotidien.
J’ai l’impression que ces problèmes se sont multipliés depuis l’affaire « Baby Loup». Mais également suite aux manifestations sur le mariage pour tous.
Cette planche est traitée comme une simple étude empirique qui j’espère vous intéressera.
Je me refusais dans un premier temps à vous faire une analyse juridique des décisions de justice de l’affaire « Baby loup », mais l’actualité m’a obligé, à modifier ma planche au dernier moment…
Comme vous le savez sûrement, la cour d’appel de Paris a confirmé, le mercredi 27 novembre dernier, le licenciement de la salariée voilée de la crèche privée Baby Loup, estimant qu’il y avait eu de la part de la salariée qui était, pour rappel, directrice adjointe une « faute grave » justifiant son licenciement.
Bref historique :
Le 13 décembre 2010 : Une salariée d’une crèche privée avait été licenciée pour faute grave pour avoir enfreint le règlement intérieur de la crèche qui l’employait en portant un voile.
En effet, le règlement intérieur de cette crèche prévoyait que « le principe de la liberté de conscience et de religion de chacun des membres du personnel ne peut faire obstacle au respect des principes de laïcité et de neutralité qui s’appliquent dans l’exercice de l’ensemble des activités développées par la Baby loup, tant dans les locaux de la crèche ou ses annexes qu’en accompagnement extérieur des enfants confiés à la crèche ».
Le conseil des prud’hommes avait confirmé son licenciement, estimant que cette salariée avait fait preuve « d’insubordination caractérisée et répétée ».
Le 10 Octobre 2011 : Un arrêt de la cour d’appel de Versailles confirme ce jugement, considérant que la restriction apportée à la liberté religieuse était proportionnée au but recherché, et justifiée par la nature de la tâche à accomplir, conformément aux dispositions légales (article 1321-3 du Code du travail)
La Cour s’était fondée sur les principes de laïcité et de neutralité, auxquels se référait le règlement intérieur de la crèche que je viens de cité.
Le 19 mars 2013 : La Cour de cassation casse la décision de la Cour d’appel de Versailles et annule le licenciement car « S’agissant d’une crèche privée », la juridiction a estimé que son licenciement constitue « une discrimination en raison des convictions religieuses » et doit être « déclaré nul », considérant pour sa part, que la clause du règlement intérieur est trop générale et imprécise pour constituer une restriction justifiée par la nature de la tâche à accomplir, et proportionnée au but recherché.
Le licenciement de la salariée était donc discriminatoire et nul de ce fait.
L’Avocat général avait également conclu que cette crèche pouvait être qualifiée d’entreprise de tendance (Nous découvrons ce concept d’entreprise tendance qui est intégré dans la jurisprudence européenne, mais qui n’existe pas dans le droit français)
Cette décision de justice acte quand même que le principe de laïcité prévu par l’article 1er de la Constitution que je vous cite « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée » ne s’appliquerait donc pas aux salariés des entreprises privées qui ne gèrent pas un service public et restent donc régies par les dispositions du Code du travail.
Vous verrez un peu plus loin dans ma planche que cela n’est pas aussi simple pour les entreprises de délégation de service public.
Pour autant, suite à cette décision, la laïcité ne pourrait donc s’appliquer qu’aux services publics ou aux entreprises privées qui gèrent un service public.
Pour les autres entreprises privées les restrictions apportées à la liberté religieuse ne peuvent être fondées sur ce principe de laïcité, mais devraient répondre aux exigences de l’article L. 1321-3 du Code du travail.
Le 27 novembre 2013 : La Cour d’appel de Paris confirme le licenciement, suite à la décision su procureur général de la cour d’appel de Paris, estimant qu’il ne portait « pas atteinte à la liberté religieuse » et qu’il n’était pas « discriminatoire ».
La Cour d’Appel motive sa décision en considérant, cette fois, la crèche comme une entreprise de conviction (Nous découvrons également ce type d’entreprise) qui pouvait se doter d’un règlement intérieur « prévoyant une obligation de neutralité du personnel, dans l’exercice de ses tâches »
La Cour précise également que, la restriction vestimentaire imposée à la salariée soumise à une obligation particulière de loyauté était d’autant plus justifiée dans son principe, comme tendant à assurer la protection de la liberté religieuse d’autrui, que proportionnée au but légitime poursuivi, compte tenu du jeune âge des enfants confiés à la salariée et de leur caractère influençable.
La Cour appuie également sa décision, sur le fait que les missions de la crèche, sont « d’intérêt général, au point d’être fréquemment assurées par les services publics » et sur la fait que la salariée a continué à venir sur son lieu de travail après sa mise à pied à titre conservatoire et qu’elle a eu une attitude agressive.
Et que cette interdiction n’a pas une portée générale dans l’enceinte de la crèche et qu’elle est uniquement circonscrite aux activités avec des enfants.
Est-ce que l’on consacre au travers de cette décision le principe selon lequel la liberté de conscience et de religion de chacun des membres du personnel d’une société (privée ou public) ne peut faire obstacle au principe de laïcité et de neutralité ?
Je n’en suis pas persuadé …….
2ème partie
Il y a quelques mois c’était la 1ère fois que je suis confronté à la question du port du voile en situation de travail.
Aussi, je tenais à vous faire part de mes diverses expériences au sein d’un service RH qui se sont déroulées au cours de l’année 2013.
1) Nous avons eu une candidate en intérim qui s’est présentée à un entretien devant un responsable de service, pour une mission de chargée de clientèle. Cette chargée de clientèle devait travailler au sein d’un Centre Service Client, et n’aurait pas de contact physique mais uniquement téléphonique avec nos clients.
Elle précise spontanément au cours de notre entretien qu’elle n’enlèvera pas son voile, dans le cadre de l’exercice de son activité professionnelle, sous réserve que nous lui confions ce poste.
Le responsable, à l’issue de notre entretien, m’informe qu’il craint qu’en intégrant cette salariée au sein de son service, cela ne créé des tensions avec les autres salariés présents.
Quelle est la position officielle de l’entreprise sur ce sujet ? Quelle attitude adoptée face à cette candidate : lui annoncer que le voile pose problème à lui seul ou nous réfugier derrière des considérations liées aux compétences, à l’expérience, etc…. pour écarter ou pas cette candidate.
Au delà des convictions de chacun et de ce cas d’espèce, je pense savoir comment réagir et ai une idée assez claire des jurisprudences en la matière (cf. décision de cassation ci-dessus).
Cependant, je me rends compte que mon entreprise n’a défini aucune politique spécifique relative au fait religieux en interne.
J’ai donc décider d’observer strictement la loi en matière de non discrimination et la jurisprudence qui en découle, lesquelles, en imposant aux entreprises une forme de neutralité, ne leur permettent pas pour autant de se prévaloir de la laïcité pour interdire le port d’attributs religieux ou jugés comme tels par les (futurs) salariés.
Nous avons donc décidé de nous fonder exclusivement sur les compétences pour opérer des choix de recrutement, mais également de mobilité, évolution, etc. dans l’entreprise.
Pour autant, je ne réponds pas, au travers cette réponse, totalement au manager sur la conduite à tenir face à ces situations.
2) Nous avons été interpellé par une collectivité suite à la demande de plusieurs rabbins.
Ces religieux nous ont interpellé sur l’usage de l’eau pendant le Shabbat depuis l’installation du télérevé.
Le rabbin cherchait la confirmation de la création d’une impulsion électromagnétique instantanée lors de chaque tirage d’eau ce qui pour lui enfreindrait la Thora.
Nous lui avons expliqué que le fonctionnement d’un compteur d’eau et le procédé de transmission de l’information.
Il n’a pas été convaincu par nos arguments.
Pour ce religieux, la seule solution serait que nous déposions les modules chez les clients intéressés et que nous reprenions un relevé manuel quitte à prendre en charge le déplacement pour les personnes pratiquants sa religion.
Nous lui ont rappelé qu’il ne s’agissait pas simplement d’une action technique avec notre Société mais de l’application d’un choix d’une collectivité publique qui dés lors s’imposait à tous.
En outre, nous l’avons invité à pratiquer un stockage préventif de l’eau le jeudi à son domicile, ce qu’il fait déjà.
La jurisprudence est intéressante, notamment en ce qui concerne les interphones et digicodes dans les copropriétés, car des demandes similaires ont été déboutées.
3) Un salarié est venu me voir récemment en me demandant d’installer une salle de prière dans les locaux de la Société.
Ce salarié considérait qu’il n’était pas en capacité de pouvoir exercer librement sa religion et me demandait donc une salle dédiée.
Comment réagir face à cette situation ?
Je ne peux pas répondre par la positive, dans la mesure où tous les salariés qui pratiquent une religion, viendraient me voir pour me demander leur propre salle de prière.
J’ai donc répondu par la négative. Cependant, je ne peux pas lui empêcher d’exercer sa religion, sinon je porterai atteinte à l’une de ses libertés fondamentales, dont fait partie la liberté religieuse.
Je lui ai donc proposé de prier, dans une salle disponible.
Cependant, il devrait ne pas utiliser cette salle, s’il y avait une réunion en cours et qu’il devrait sortir de la salle, si un manager souhaitait l’utiliser pour une réunion avec ses équipes.
4) Un salarié a refusé de porter un masque de sécurité, dans le cadre de son activité professionnelle, prétextant que ce dernier n’était pas adapté à sa barbe.
Je vous rappelle que l’employeur a une obligation de sécurité de résultat envers ses salariés et doit donc prendre les mesures nécessaires pour assurer leur sécurité et protéger leur santé physique et mentale.
De son côté, le salarié doit respecter les instructions données par l’employeur en matière de santé et sécurité au travail.
La jurisprudence considère que le refus réitéré d’un salarié de porter des équipements de protection individuelle constitue une faute grave rendant impossible son maintien dans l’entreprise.
Nous avons donc engagé une procédure disciplinaire à l’encontre de ce salarié car, en dépit de mises en garde sur le caractère impératif des consignes de sécurité, il refusait de façon réitérée et délibérée de porter cet équipement de sécurité, à savoir le masque, dans le cadre de son travail.
5) Je me rends compte également de la multiplication des croix, de photos du pape, d’autocollant contre le mariage pour tous, dans les bureaux individuels des salariés…..
Comme vous pouvez le constater, les entreprises n’ont pas forcément les moyens de répondre efficacement aujourd’hui à la multiplication des problèmes religieux dans l’entreprise, d’autant que nous n’avons pas la possibilité d’interdire de manière générale des signes religieux dans l’enceinte de l’entreprise.
Aujourd’hui, la décision de la Cour d’Appel de Paris va dans le bon sens, mais ne donne pas aux entreprises la solution pour régler les éventuels problèmes religieux qu’elles rencontreraient.
Aussi, faut-il ou non une loi sur la laïcité ?
Il semble que certaines personnes jugent que le droit actuel suffit à répondre aux situations potentiellement conflictuelles, liées aux revendications religieuses ou au port de signes religieux au-delà du champ bien circonscrit du secteur public que je n’ai pas traité dans cette planche.
N’oublions pas que le code du travail a augmenté de 1000 pages ces dernières années…. Ils ont sûrement raison…
Cependant, une clarification des règles actuelles est forcément nécessaires. Espérons que la prochaine décision de la Cour de Cassation soit plus précise.
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