Voici une question d’actualité, pour ne pas dire « à la mode » mais qui finalement nous questionne sur l’essentiel : Qui sommes-nous ? où allons-nous ? Par nous, il faut entendre « à la fois l’Homme et la société ».
Dans un premier temps, il convient de s’intéresser à quelques définitions. Avant de parler de décroissance, il convient de rappeler et sans doute commenter la notion de croissance.
La croissance : religion monothéiste ou pulsion génétique consubstantielle à l’humain ?
D’un point de vue « évolutionniste », c’est à dire en replaçant cette question dans un cadre plus universel, le monde est en constant changement. Depuis le big-bang les atomes puis les molécules, les systèmes solaires, les planètes, les êtres vivants se sont constitués dans une lignée continue caractérisée par son expansion inéluctable. Tout évolue. Nul ne peut le contester. Ainsi notre humanité est prise dans cette évolution. L’Homme par son imagination; son intelligence et son habileté poursuit cette marche en avant, et rien ne pourra l’arrêter, hormis sa disparition totale. Le progrès humain, nous pourrions dire « le génie » humain, ne peut pas s’arrêter ce qui entraîne nécessairement de nouvelles technologies.
En moins de 2000 ans, la population mondiale est passée de quelques dizaines de millions à plusieurs milliard d’individus. Cette augmentation a rendu nos sociétés plus complexes dans leur organisation : une tribu de 50 individus sur 20 hectares peut organiser sa vie différemment que 300 000 personnes sur la même superficie car des problèmes de logistique vont se poser: déplacement, logement distribution…
La croissance correspond à une augmentation soutenue, pendant une période longue, de la production totale, biens et services, d’un pays. Généralement on retient le PNB ou le PIB comme indicateur de croissance. Pour augmenter le PIB, il faut, augmenter la richesse produite en améliorant la productivité générale.
D’une façon très générale, on peut énoncer comme principaux facteurs de croissance : l’augmentation de la population active et de la qualification de la main d’œuvre, l’accumulation du capital, l’organisation du travail et sa division, le progrès technique et les innovations.
L’inéluctabilité de la décroissance est contestée par certains économistes, pour qui, « moyennant une forte réorientation des techniques et des pratiques, il serait possible de passer à un régime de croissance durable » : En matière d’énergie, il s’agirait de lancer des « grands travaux » en faveur des sources d’énergie renouvelable (éoliennes, capteurs solaires, géothermie, etc.), en attendant l’hypothétique mise au point de moteurs à hydrogène. S’y ajouteraient d’autres grands travaux : économies d’énergie, habitat écologique, infrastructures des nouveaux modes de transport. Les transports urbains favoriseraient les modes collectifs les plus propres et la bicyclette. Le recyclage total des matériaux serait une activité de grande ampleur. L’agriculture serait réorientée vers des méthodes moins intensives puisant moins dans les nappes phréatiques, peu utilisatrices d’énergie et de produits chimiques. Il faudrait également reconstituer massivement les forêts mondiales.
Un constat d’échec : Prise de conscience ou crise de confiance
Le niveau de consommation des pays du Nord est inégalitaire vis-à-vis des pays du Sud et des générations futures. L’inégalité écologique ne peut être découplée du consumérisme, des systèmes qui organisent le goût du profit et des besoins. Les institutions normalement produites par les citoyens lorsque trop imbriquées aux systèmes économiques sont alors détruites par ces derniers puisque devenant alors un obstacle à leur expansionnisme. Il faut penser le progrès pour tous et non pas seulement pour quelques-uns et la régression pour tous les autres : le coût social doit être pris en considération : A quoi sert-il de repousser l’espérance de vie pour quelques-uns si le plus grand nombre à l’âge adulte ne peut avoir accès aux soins dentaires et vit dans des conditions déshumanisantes ? Le progrès ne se peut s’il s’accompagne d’une hiérarchisation dans l’accès aux services pas plus que s’il aboutit à une confiscation de la gestion de l’activité sociale par un petit groupe, le citoyen devant pouvoir conserver sa capacité d’expertise.
La finalité du productivisme est le gain de temps, mais l’ensemble des effets secondaires des échanges privés inscrits dans cette finalité ont un coût pour la collectivité : Le TGV permet certes de relier Paris et Lyon en 2h, mais au prix de la disparition des TER, des trains de proximité. Une autre aberration illustrant ce modèle : la grande distribution : les système locaux fondés sur le commerce de proximité nécessite moins d’efforts et d’énergie.
Ainsi la croissance n’est pas synonyme de mieux vivre pas plus que de bonheur. L’empreinte écologique : espace nécessaire pour une population pour satisfaire à ses besoins et les recycler – est accrue par la croissance. Elle va de pair avec le consumérisme et si les plus démunis aspirent à plus, quels sont les riches qui envisagent de moins avoir ? Les nouveaux besoins ne sont-ils pas autant de miroir aux alouettes et facteurs d’exclusion pour ceux qui n’auront pas les moyens de se les offrir ?
Si l’on retranche du PIB la valorisation monétaire des activités de réparation des dégâts du progrès alors on constate un décrochage de plus en plus important entre croissance économique et bien être caractérisable par l’espérance de vie, la scolarisation, le nombre de détenus, etc. Depuis 20 ans, on assiste même fréquemment à une diminution de ce dernier (bien être) et ce d’autant plus que l’environnement montre objectivement les conséquences de la folie des Trente Glorieuses.
La décroissance : rêve impossible ou une utopie féconde ?
A l’opposé ce concept de croissance, une autre idée forte a émergé depuis les années 1960 pour exploser finalement dans les années 2000, le concept de « décroissance ». Selon Serge Latouche, il faut abandonner la religion de la croissance, mais comment peut-on définir positivement la décroissance ? Il apparaît que ce ne peut être une croissance négative, synonyme de récession et de dépression et donc de désarroi pour nos sociétés de consommateurs invétérés car signifiant la hausse du chômage, la diminution des programmes sociaux, éducatifs et sanitaires. Le mot « décroissance » n’est pas vraiment défini dans les dictionnaires d’économie. Il est donc nécessaire de définir le concept de « société de décroissance » afin de réhabiliter totalement l’idée même de société et donc la place de l’humain.
Serge Latouche définit le cercle vertueux de la décroissance en articulant huit changements interdépendants : Réévaluer, reconceptualiser, restructurer, redistribuer, relocaliser, réduire, réutiliser, recycler. Ce sont les fameux huit « R ».
- Réévaluer : remplacer les fausses valeurs d’individualisme, d’argent, de consommation par l’altruisme, le relationnel, le raisonnable.
- Reconceptualiser : redimensionner le concept de richesse/pauvreté, de rareté/abondance (la marchandisation se limite souvent à s’approprie ce qui est gratuit puis à le repackager pour le revendre en créant la pénurie « artificiellement ».
- Restructurer : adapter l’appareil de productions ce qui implique la sortie du capitalisme.
- Redistribuer : en répartissant les richesses de manière plus équilibrée permettra de limiter le besoin de consommation en limitant le phénomène d’imitation du modèle de la classe juste au-dessus de la nôtre.
- Relocaliser : produire localement mais également localiser la politique, la culture, … en privilégiant la proximité, les circuits courts, une autre occupation de l’espace ? Le fait avéré qu’un simple yaourt industriel contienne des ingrédients qui ont parcouru 9000 kilomètres avant de se trouver sur notre table est une aberration environnementale qui, ajoutée à bien d’autres, condamne à moyen terme la forme actuelle de la mondialisation aussi sûrement que les dimensions sociales de ses excès.
- Réduire : 80% des biens mis sur le marché ne sont utilisés qu’une fois avant d’être jetés. Il faut également réduire le tourisme de masse qui est un vrai fléau environnemental.
- Réutiliser et recycler : afin de limiter les déchets et économiser les ressources naturelles et matières premières.
Si les conséquences environnementales de la production et de la consommation étaient prises en compte non pas seulement à leur coût actuel, mais en estimant les risques futurs qu’elles entraînent, qui sont des risques vitaux, le système mondial des transports aériens, maritimes et routiers s’en trouverait réorganisé.
Selon une idée communément admise, sans croissance, il ne sera pas possible d’améliorer le sort social des citoyens, habitants en difficulté car il n’y aurait pas de promotion sociale possible, pas de remboursement de la dette du pays possible. Or la croissance de l’économie marchande n’est pas nécessairement synonyme d’emplois. En effet depuis 1950 soit 60 ans tandis que le PIB a été multiplié par sept, le nombre d’actifs occupés n’a augmenté que d’un tiers malgré la réduction du temps de travail légal et la multiplication des temps partiels qui la plupart du temps ne sont pas choisis mais correspondent à une dégradation de l’emploi.
Mais des interrogations demeurent ?
La décroissance n’est-elle pas finalement une simple théorie anticapitaliste plus populaire que la critique marxiste, alors qu’elle est sans doute plus faible ? N’est-il pas désolant de constater qu’une théorie essentiellement écologiste a aujourd’hui plus d’emprise qu’une théorie humaniste ? Le fait de passer d’une critique radicale à une critique édulcorée des excès du système et de leurs impacts sur l’environnement, n’est-ce pas déjà la victoire du capitalisme ?
Ou la décroissance offre t-elle une réelle perspective au sens « alternative » politique ? Et de considérer l’écologie politique en France comme une offre conforme au capitalisme puisque ayant cherché à être respectable en restreignant son message à l’éco fiscalité, aux comportements individuels, à la « bobo » attitude avec les péages urbains ne permettant l’accès des centres villes qu’aux plus riches, plutôt que d’être une pédagogie de la critique de la société industrielle. La gratuité des transports en commun pourrait être une solution, mais l’heure ne semble pas au développement d’une sphère publique gratuite mais bien à la multiplication des espaces privés payants. Pour le libéralisme la gratuité doit être proscrite au profit du secteur marchand.
En conclusion
Il nous apparaît opportun de remettre en cause l’usage exclusif du PIB comme indice majeur de l’état de la société. En effet, la croissance de la consommation et de la production ne suffisent sans doute pas à donner une idée juste de l’état de santé de la société. Un alter mode de vie à celui du mode de vie normalisé se doit de régénérer l’espace public, la réduction du temps de travail permettant outre le fait de dépasser le productivisme, permet de libérer le temps nécessaire au débat. Nos sociétés sont aujourd’hui contraintes par l’économisme c’est pourquoi l’économie doit être ré ancrée dans la société en tenant compte des contextes locaux, car s’il existe des valeurs universelles, le mode de vie lui ne peut l’être.
Plus que des consommateurs, redevenons des citoyens doués de culture, capables de réflexions critiques sur ce qui est présenté comme l’inéluctable modernité, déterminons les biens et services à garantir gratuitement (santé, école, cantine, culture, transports, etc.…) à chacun en nous appuyant sur leur empreinte écologique, refusons de travailler plus et partageons puisque 5% de la richesse des 250 plus riches permettraient de couvrir les besoins fondamentaux de tous.
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