Liberté et sécurité sont deux notions philosophiques intimement liées, dont l’articulation constitue le cœur du contrat social. Celui-ci organise en effet la transition d’un état de nature (dont l’existence est plus admise d’un point de vue théorique que réellement constatée) vers une société organisée.
Différentes conception du contrat social existent, mais toutes ont en commun la protection de la vie et posent donc la question de la soumission aux lois et par conséquent de la part de liberté que chaque société est prête à concéder pour assurer sa sûreté, sa sécurité et sa pérennité. Dans ce cadre, l’étude de la conciliation de la sécurité et des libertés publiques apparaît comme une question centrale pour toute société.
L’état de nature se caractérise par l’absence de règles : les hommes possèdent des droits naturels (droit de se nourrir, de se défendre contre autrui, etc.) et une liberté naturelle (liberté totale, sans aucune contrainte).
Cet état de nature relève en fait de la fiction normative puisqu’il cesse d’exister à partir du moment où l’Homme établit une forme de société. C’est à dire avant même d’avoir été institué, puisque la vie en société est du point de vue ethnologique la nature profonde de l’Homme.
Dès qu’elle est établie, la vie commune est régie par un certain nombre de règles qui visent en premier lieu à assurer la pérennité de la tribu (voir de l’espèce si la tribu n’a pas connaissance de – ou pas la faculté à imaginer – l’existence d’une ou plusieurs autres tribus de la même espèce). Ces règles peuvent être relativement simple (conservation du feu, organisation de la collecte de nourriture, d’eau, …) ou beaucoup plus élaborées (telles les Amazones qui élevaient uniquement les enfants kidnappés auprès d’autres tribus).
Le non respect de ces règles est généralement réprimé par la tribu, plus généralement par une période de mise à l’écart que par une réelle punition, mais en gardant toujours la perspective de réintégration de l’individu dans le cadre des règles qui régissent la vie du groupe.
La nécessité de pérennité de la société est une constante de toutes les sociétés et se retrouve donc évidemment dans les formes plus évoluées de société. Les manifestations et formes ont en revanche évolué : formalisation des règles qui deviennent des lois, évolution des formes de la réprimande, qui devient punition, etc.
De façon consciente ou inconsciente, c’est une forme primitive de contrat social qui est alors instaurée. Celui-ci vient restreindre les droits et les libertés naturelles en imposant des règles. Il garantit aux hommes une liberté politique à la place d’une liberté qui n’en est pas réellement une, la liberté naturelle. Alors que dans l’état de nature, l’homme obéit à la loi du plus fort, il obéira plutôt aux lois dans l’état de droit. Les droits naturels deviennent donc des droits civils, et la liberté naturelle devient la liberté politique. Ainsi, l’homme devient réellement libre puisqu’il n’a plus à se soumettre à la force mais doit obéir à la loi. Sa liberté naturelle est alors restreinte par la loi, permettant ainsi que celle-ci n’entrave plus la liberté d’autrui.
Dans un stade évolué de société, l’acceptation du fondement du pacte social légitime l’Etat dans l’exercice des pouvoirs régaliens (police, justice, défense et finances pour payer le reste) qui visent à protéger les citoyens, et par la même leurs libertés. Cette vision à minima de l’Etat pose donc un premier fondement : « Sans sécurité, il n’est point de libertés ».
Une fois les conditions de la pérennité de la société établie, la société peut s’interroger plus avant sur l’articulation entre sécurité et libertés. Les fondements du contrat social établi dépendent de la conception préalable de l’état (supposé) de nature de l’Homme, et donc des penchants contre les quels la société souhaite se protéger. Hobbes considérant l’état de nature comme une guerre du tous contre tous, sa conception du contrat social sera sécuritaire afin de préserver, par delà la sécurité, la vie. D’autres conceptions du contrat social existent, celle de Rousseau notamment qui fonde le contrat social sur l’intérêt général par opposition aux intérêts particuliers caractéristiques de l’état de nature. Toutefois, toutes nécessitent la protection de la vie et posent donc la question de la soumission aux lois et donc de la part de liberté que chaque société est prête à concéder pour assurer la sécurité.
Si notre attachement à la philosophie des lumières et aux droits de l’homme nous pousse instinctivement à placer le curseur plus du côté de la liberté que de la sécurité, il nous faut avoir conscience que ce mécanisme n’est pas forcément si naturel que cela. En effet les dangers liés à un excès de liberté sont perceptibles intuitivement et immédiatement, tandis qu’un excès de sécurité ne paraît pas dangereux de prime abord. Les bienfaits de la liberté ne se font sentir que sur le long terme, tandis que les avantages de la sécurité sont immédiats. Enfin la liberté demande un effort de soi et sur soi alors que la sécurité demande surtout un effort de l’autre. Il est dès lors logique que les sociétés individualistes aient tendance à privilégier le fait sécuritaire, souvent par delà l’exigence de sûreté. Cette conclusion n’est pour autant pas l’apanage de l’individualisme, et le XXème siècle nous a démontré que les sociétés collectivistes, lorsqu’elles dévoient l’intérêt général, sont également propices à l’établissement d’un régime sécuritaire.
La liberté étant instituée par les lois, l’une des questions soulevées par les doctrines sécuritaires est le contrôle de l’application de celles-ci. La société donne en effet de plus en plus de moyens (GPS non contrôlé, vidéosurveillance dans les lieux non publics, notamment dans le milieu professionnel, mise en place de fichiers type Edvige, etc) et de droits d’atteinte à la liberté d’autrui à de gens de moins en moins contrôlés. Les exemples sont ainsi légion de cas où l’organe administratif est son propre contrôleur (par exemple en France sur le droit d’enquêter, ou aux Etats Unis sur le droit d’écoute depuis le Patriot Act). C’est notamment la place des garants de la loi (magistrats, organisme de type Conseil Constitutionnel ou Conseil d’Etat), et plus largement de la justice, ainsi que de l’indépendance des pouvoirs qui est ici questionnée.
Il apparaît donc assez clairement, en pendant au premier fondement posé : « Sans sécurité, il n’est point de libertés », que « trop de sécurité nuit aux libertés »
Mais parfois, ce sont les lois elles mêmes qui sont en cause. La logique sécuritaire repose sur en effet sur l’identifiant d’un « autre » qui représente un danger, qui fait peur, et dont il convient dés lors de se protéger, protection qui prend la forme de lois lorsque la logique sécuritaire est institutionnalisée.
La légalité n’induit donc pas forcément l’intérêt général. Ce fut également le cas à l’époque de l’esclavagisme, le féodalisme, le colonialisme ou l’exacerbation des nationalismes. Autant de systèmes d’organisation qui symbolisent certes le maintien de l’ordre mais dans une injustice généralisée. Ordre n’est donc pas forcément synonyme de sécurité.
Ce type de loi créent une fausse sécurité, qui s’oppose à de fausses libertés dans un monde injuste. L’histoire nous a appris que face à ces lois et systèmes iniques, il convient de les briser pour justement être libre et instaurer de fait la sécurité.
Les lois légitimes sont celles qui font de nous des égaux en droit (à l’opposé donc des lois xénophobes ou communautaristes) et qui ne permettent pas l’émergence de points d’accumulation de profits (comme ce fut le cas par le biais de l’esclavagisme, colonialisme, féodalisme) ou de concentration de pouvoirs. Si le monde était idéal, la sécurité serait établie et les libertés acquises, mais face aux inégalités, la révolte est légitime.
Difficile dans ce cadre de ne pas interroger le système économique dominant actuellement… Générateur d’inégalités par excellence (notamment par un mécanisme de répartition des richesses profitant aux seuls actionnaires et par l’instauration de la guerre du tous contre tous), il l’est donc aussi de résistances prenant diverses formes (traditionnelles par l’action syndicale ou politique, ou plus violente dans le cas de la révolte des banlieues de 2005 par exemple). Ces résistances sont généralement instrumentalisées au motif du trouble à l’ordre public et activent quasi automatiquement les mécanismes d’auto défense du système, à savoir le fait sécuritaire. Celui-ci vise alors à réprimer ces résistances, si possible avant même qu’elle ne parviennent à s’organiser, par le démantèlement des formes traditionnelles d’organisation collectives de la société (notion de l’existence de classes, atteintes aux libertés collectives, notamment le droit d’association ou le droit de grève, conventions collectives, droit du travail, …), ou l’organisation de la surveillance des citoyens (vidéo surveillance, hadopi, …). Le maintien de l’ordre prend ainsi des formes moins visibles, et en apparence beaucoup moins drastiques, que dans les systèmes précédemment cités. Une dimension supplémentaire vient toutefois s’ajouter par rapport à ceux-ci : le caractère global du système. L’injustice est cette fois-ci généralisée. Et les cas de migrant sans papiers sont un exemple supplémentaire de la difficulté à faire régner l’ordre dans un système injuste.
L’opposition apparente entre sécurité et libertés publiques repose sur les injustice du système, et le dépassement de cette dualité nécessite l’instauration préalable de la justice sociale, seule à même de générer à la fois sécurité et liberté.
C’est seulement ainsi que les éléments normatifs du système cesseront d’être considérés comme oppresseurs, et que l’on pourra filer justement la métaphore du chef d’orchestre qui n’opprime pas la liberté de l’instrumentiste, mais assure la stabilité du système, tout en laissant cours à la liberté créatrice.
Les contrats sociaux des sociétés humaines sont ainsi à mettre en regard de l’atteinte de leurs objectifs successifs. Historiquement, la préservation de la vie imposait que la priorité soit donnée aux aspects sécuritaires afin de garantir la pérénité de l’espèce. Ensuite seulement ont émergé les questions relatives aux libertés individuelles et publiques. Mais la pérennité de ces acquis nous impose de redessiner la pyramide de Maslow et d’introduire en amont de ces deux notions la justice sociale.
Sur cette base seulement pourront être construits les étages suivants que sont l’égalité, la fraternité et la concorde universelle.
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