« Liberté » et « Dignité » sont deux des principes fondamentaux des Droits de l’Homme. Les deux sont chargées de sens social car Liberté et Dignité se déterminent avant tout par rapport à nos semblables, puisque la liberté de chacun se limite à celle des autres et que la dignité se ressent aussi dans le regard d’autrui. Mais chaque Homme a sa propre mesure de sa dignité. Quand l’Homme est en pleine possession de sa force, c’est à dire debout, sain de corps et d’esprit, c’est à lui qu’incombe la maintenance de sa dignité dans la mesure où la société ne l’entrave pas. Mais en fin de vie, parfois couché, voire grabataire, il revient à la société de lui apporter une aide afin d’assurer sa dignité, qui lui est un droit reconnu. Hélas, la fin de vie n’est pas l’apanage des seules personnes âgées : accidents divers, maladies dégénératives et autres peuvent aussi frapper de plus jeunes.
Avant d’énoncer quelques propositions découlant de notre position, il paraît opportun de faire un état des lieux.
État des lieux
Le monde dans lequel nous vivons n’est pas favorable aux personnes ayant besoin d’assistance, à cause des conditions de logement et de travail, certes mais aussi en raison d’un individualisme ambiant. Or nous mourrons de plus en plus vieux, et dans notre société de plus en plus déshumanisée. Le déplacement du lieu de mort en est un exemple : on ne meurt plus chez soi au milieu des siens mais seul à l’hôpital.
La médecine a fait des progrès considérables : meilleure connaissance des phénomènes biologiques, arsenal des médicaments et des techniques efficaces contre les affections et la douleur. Ce qui, dans nos pays, a entraîné une prolongation incontestable de la durée de vie et donc par la même a eu un impact significatif sur la question qui nous est posée. Avant tous ces progrès, il n’y avait que des pis aller de traitements thérapeutiques. C’est pourquoi l’homme avait inventé les pratiques de magie, les religions, les croyances, les rituels d’incantations ou de prières. La mort n’est aujourd’hui plus un phénomène rituel mais technique. L’initiative est passée de la famille aux médecins.
Alors, quand un Homme ou ceux qui l’entourent ressentent profondément qu’il y va de sa dignité et que sa vie ne peut plus être vécue de la sorte tant les souffrances sont grandes et les chances de rémission sont nulles, la solution d’y mettre fin se pose avec acuité. Que faire ? Soins palliatifs, « auto-délivrance » assisté, c’est à dire en fait euthanasie ?
Les religions prônent que la vie a un caractère « sacrée » et donc que l’euthanasie est immorale. Pour les trois grandes religions monothéistes la vie doit avant tout primer et la seule autorité capable d’ôter la vie semble donc être divine. Rappelons que parce que libre l’homme lui-même est producteur de la loi et qu’il ne saurait la recevoir d’une autorité extérieure quelconque. Il nous faut donc prendre garde à ne pas confondre la morale avec la loi. Paradoxalement un suicidé n’a pas droit aux pompes religieuses sauf bien entendu s’il est en service commandé auquel cas il devient miraculeusement un martyr honoré.
En France, tout suicide se doit d’être solitaire (cf. : Mireille JOSPIN). Vous partez sans « le baiser d’adieu » de vos proches, car qu’il s’agisse d’une présence passive ou active « l’aidant » deviendra l’auteur d’une non-assistance à personne en danger ou d’un homicide volontaire.
En Suisse dès lors que la personne est apte à boire elle-même la substance mortelle, le suicide assisté est autorisé. En Oregon aux Etats-Unis, la loi permet aux médecins de prescrire le produit qui entraînera la mort.
Revenons à la légalité actuelle applicable en France. C’est le volumineux code de la santé publique qui fait référence. Il est épisodiquement remis à jour par des lois.
Le développement des soins palliatifs, consacrés par la loi n°99-477 du 7 juin 1999 et fondés sur une culture de l’accompagnement des personnes et du soulagement de la douleur par le maniement des médicaments à base de morphine.
Dans une perspective différente la loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades consacre fermement dans le code de la santé publique le principe selon lequel la personne participe aux décisions qui la concernent et peut refuser des soins :
Article L1111-4 alinéa 2 : Le médecin doit respecter la volonté de la personne après l’avoir informé des conséquences de son choix. Si la volonté de la personne de refuser ou d’interrompre un traitement met sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en œuvre pour la convaincre d’accepter les soins indispensables. Il est donc devenu possible à un malade de s’opposer à un traitement
La dernière loi portant sur ce point est celle du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, dite loi Léonetti écrite suite à son rapport. Il est nécessaire d’en connaître l’essentiel afin de faire des propositions sérieuses. C’est pourquoi nous devons nous référer aux textes.
Article 1 :
« Ces actes ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable. Lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris. Dans ce cas, le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa vie en dispensant les soins visés à l’article L. 1110-10. » Cet article 1110-10 dit : « Les soins palliatifs sont des soins actifs et continus pratiqués par une équipe interdisciplinaire en institution ou à domicile. Ils visent à soulager la douleur, à apaiser la souffrance psychique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à soutenir son entourage. »
Article 2 :
« Si le médecin constate qu’il ne peut soulager la souffrance d’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, qu’en lui appliquant un traitement qui peut avoir pour effet secondaire d’abréger sa vie*, il doit en informer le malade, sans préjudice des dispositions du quatrième alinéa de l’article L. 1111-2, la personne de confiance visée à l’article L. 1111-6, la famille ou, à défaut, un des proches. La procédure suivie est inscrite dans le dossier médical. ». [* couverture pour le praticien uniquement]. L’objectif de la loi est de sécuriser la situation pénale des professionnels.
La loi résumée dans une formule « Laisser mourir sans faire mourir » intègre la notion de qualité de vie à la place du maintien de la vie. A été introduite la faculté pour une personne de s’exprimer à l’avance sur ses choix ultimes par des directives anticipées. Mais ces dernières ne sont pas obligatoires pour le médecin, tandis qu’il doit s’incliner devant un refus de traitement.
Pour ce qui est de l’état végétatif persistant, dont l’interruption demeure illégale. Il y a là une impasse pour les proches des personnes qui ont toute aptitude à communiquer. Depuis l’affaire dite « Vincent Humbert » tétraplégique et aveugle mais robuste – L’article L1111-4 du code la santé publique a été modifié : Si la volonté de la personne de refuser ou d’interrompre un traitement met sa vie en danger le médecin….L’expression un traitement a été remplacée par tout traitement. Toutefois il n’apparaît pas clairement que les soins ordinaires comme l’alimentation artificielle puissent entrer dans le cadre du tout traitement, comme la jurisprudence Cruzan permet de la considérer aux USA depuis 1990.
La loi permettant déjà d’arrêter les soins s’ils deviennent déraisonnables et de prodiguer des soins palliatifs, sans toutefois permettre de mettre un terme à la vie, même s’il est sous-entendu que le traitement lui-même pourrait abréger la vie. Il faut néanmoins prendre garde à ce que l’arrêt des soins n’entraîne pas de nouvelles souffrances au patient, qui doivent auquel cas être apaisées.
Dans notre monde où la logique financière de rentabilité – bien que secouée d’une crise – est maîtresse, ne serait-il pas par ailleurs tentant de légaliser l’euthanasie et d’en faire un outil à la fois d’eugénisme mais aussi d’économie ? Il ne faut pas négliger ces aspects. Le 20e siècle n’a-t-il pas fourni des exemples de graves dérives associées aux politiques eugéniques : le troisième Reich, par exemple avec l’extermination en masse des handicapés mentaux, des vieillards, des incarcérés, des Tsiganes, des Francs-Maçons, et surtout des Juifs.
Les termes de la loi d’avril 2005 sont malgré tout une avancée considérable pour le malade et son entourage. Hélas, cette loi n’est pas suffisamment connue et appliquée par le personnel médical, en partie à cause d’un manque de formation de ce personnel mais surtout à une carence dans les moyens puisque seulement 15% des malades qui auraient besoin de soins palliatifs, les reçoivent effectivement.
La loi a instauré un congé spécial de solidarité familiale. L’article L225-15 du code du travail permet ainsi à un proche de cesser en tout ou partie de son activité pour s’occuper d’un parent malade en fin de vie. Il faut en second lieu que le salarié ou fonctionnaire, soit un ascendant ou un descendant, ou une personne partageant le domicile du mourant.
Propositions
► Dans le cadre du congés spécial de solidarité : Le contrat de travail est suspendu la rémunération cesse et aucune indemnité ne sera perçue. Le droit ne devrait-il pas être étendu à l’ensemble des catégories socioprofessionnelles. Ne devrait-il pas aussi dans certains cas considérer les collatéraux : les frères et sœurs des malades ? Le Canada et la Belgique prévoient une allocation : le proche « aidant » devrait en France aussi être soutenu pécuniairement.
► Soulager la souffrance : Œuvrer à dégager des budgets compatibles avec la demande en soins palliatifs, pour les développer dans le cadre l’HAD (Hospitalisation à domicile) et le SIAD (Service infirmier à domicile), en favorisant les EMSP (équipes mobile de soins palliatifs) en même tant que les USP. Il faut souligner qu’une loi par essence doit permettre de gommer les inégalités de traitement. Il faut donc pouvoir dégager les moyens financiers y correspondant. Or six régions administratives ne disposent d’aucune unité. Il faut aussi souligner l’absence de réseaux de soins palliatifs à domicile. Le sentiment de dignité des personnes vulnérables est préservé au sein d’un entourage familier.
► Directives anticipées : il faudrait établir légalement les modalités de ce testament (forme, personnes qui le reçoit, réitération, mise à jour..) qui pourrait alors être imposées aux soignants. Sans un cadre juridique des « directives anticipées », il peut toujours planer un doute quant à la véracité profonde de cette décision et justifier sa non-observation.
► Auto-délivrance assistée :
Pour une personne le fait de savoir qu’elle pourra être délivrée alors qu’elle en sera physiquement incapable elle-même, et si elle a rédigé ses directives anticipées lui permettrait de ne pas anticiper son départ. Cela permettrait de mettre en place un rituel d’accompagnement qui humaniserait le départ avec la participation des proches.
Pour une personne qui dans le cadre du refus de traitement en exprime également le souhait. Elle ne serait pas ainsi obligée de partir à l’étranger pour ce faire, comme il en était autrefois de l’IVG.
► Déclaration de fin de traitement : (Concerne les personnes sans perspective de recouvrir leur conscience et n’ayant pas rédigé de directives anticipées) Un Collège dont la composition est à définir devrait pouvoir décider de l’arrêt des traitements sans crainte de poursuites judiciaires.
Conclusion
Rappelons qu’en toutes circonstances chacun doit pouvoir rester maître de son corps et de son destin.
Rappelons également la déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948 : « La dignité est une valeur absolue accordée à chaque homme en sa singularité ».
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